Le LSD ça conserve, Albert Hofman, son inventeur, fête ses 100 ans !!
La grande forme.
Un p'tit trip ? mmm ?
Les yeux malicieux, une voix claire et une mémoire d'éléphant. C'est dans une forme éblouissante qu'Albert Hofmann, le père du LSD — l'un des plus puissants hallucinogènes connus à ce jour —, a fêté ses 100 ans, mercredi 11 janvier. Depuis, les festivités s'enchaînent. Salué par le président de la Confédération helvétique comme un "grand explorateur de la conscience humaine", posant avec sa femme dans
Depuis presque une semaine, Albert Hofmann, pressé par les médias helvétiques, évoque ce qu'il appelle son "enfant terrible", affirmant en être fier, mais rappelant aussi que le LSD, "comme tout ce qui est puissant, a deux faces : l'une est dangereuse, l'autre est bénéfique". Rarement découverte aura en effet suscité autant de passion et de controverses.
En 1938, Albert Hofmann est un jeune chercheur, féru de plantes médicinales et de champignons. Au sein des laboratoires Sandoz (devenus Novartis) à Bâle, il travaille alors sur les alcaloïdes de l'ergot de seigle, un champignon parasite, et parvient à synthétiser pour la première fois le LSD-25 (le 25e dérivé de l'acide lysergique), dans le but de mettre au point un stimulant circulatoire et respiratoire. Les expériences tournent court.
Cinq ans plus tard, le chimiste, saisi d'une "intuition particulière", reprend ses recherches. Le 16 avril 1943, alors qu'il manipule le puissant acide, la substance pénètre dans son sang. Albert Hofmann vit sans le savoir son premier "trip". Pris d'une étrange sensation de vertige et d'ivresse, il est contraint de renter chez lui, cramponné à sa bicyclette, alors que la réalité se déforme. Puis il est assailli par de fantastiques images et couleurs. Trois jours après, c'est en toute conscience que le chercheur avale 250 microgrammes de LSD, une dose de cheval, passant cette fois-ci par des états tantôt "merveilleux", tantôt "terribles".
Le LSD (Lyserg Säure Diäthylamid, diéthylamide de l'acide lysergique) est né. Jusqu'en 1966, date de son interdiction aux Etats-Unis, la substance passionne la communauté scientifique et médicale, puis s'empare de la génération hippie. Dans les années 1950, on la prescrit à certains psychotiques et alcooliques ou à des mourants. Sandoz la commercialise pour le corps médical, sous le nom de Delysid. Mais le LSD attire aussi l'attention des militaires américains. Le Bureau des services stratégiques, l'ancêtre de la CIA, en achète un million de doses. Un plan d'"attaque lysergique" contre Cuba sera même envisagé. Mais ce programme secret — le "MK-ULTRA" — est finalement abandonné, les chercheurs qui y travaillaient ayant pris la fâcheuse habitude de consommer eux-mêmes du LSD... Dans les années 1960, alors que sa formule tombe dans le domaine public, le LSD sort des hôpitaux psychiatriques et des laboratoires. Les fabricants artisanaux fleurissent et la vague "psychédélique" déferle.
Pendant ce temps, Albert Hofmann, toujours fidèle à Sandoz, poursuit ses recherches. A la tête du département pour les médecines naturelles, loin de l'euphorie hippie, il étudie les propriétés thérapeutiques des champignons magiques mexicains. Puis, après avoir pris sa retraite, en 1971, il se consacre à la lecture et à l'écriture, dont l'explicite LSD, mon enfant terrible.
Aujourd'hui, du haut de ses 100 ans, il continue de défendre le LSD, auquel il jure ne plus toucher depuis des décennies. Le LSD, assure-t-il, "ne crée pas d'accoutumance, n'altère pas la conscience et, pris dans des doses normales, n'est absolument pas toxique". C'est la "plus efficace et précieuse aide pharmaceutique pour étudier la conscience humaine". Une piste que certains scientifiques américains et européens demandent aujourd'hui à réexplorer.
Agathe Duparc
Le Monde du 15.01.06
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