Chavez-Lula, le match est joué

Publié le par Eric Le Boucher



E
n Grande-Bretagne, en Italie, en France, en Allemagne, les socialistes sont à la peine. Il en est de même, on le verra, pour les démocrates américains et la gauche du monde entier. Il manque à tous un programme, faute d'avoir encore trouvé la bonne réponse, cohérente et complète, à la mondialisation, aux inégalités croissantes, aux crises. Faute d'avoir tranché, en parallèle, entre la tentation du centre, le réformisme social-démocrate dans la ligne Clinton-Blair, et la tentation de "l'autre politique" de la gauche de la gauche. Entre les deux lignes, le combat - nous n'écrivons pas le débat car ce n'en est pas un - continue.


Et s'il se tranchait en Amérique latine ? Le sous-continent s'est partagé entre le centriste Lula et le gauchiste Chavez, entre une politique brésilienne sociale-libérale et un radicalisme vénézuélien. Le duel nous importe directement puisque les sociaux-démocrates sont admirateurs de Lula da Silva tandis qu'Hugo Chavez est considéré comme un modèle pour l'autre camp. De l'autre côté de l'Atlantique-Sud, l'histoire dit laquelle des deux gauches réussit. Lula da Silva, ouvrier, ancien syndicaliste, est élu président du Brésil en 2002, réélu en octobre 2006. Hugo Chavez, militaire, est élu en 1999 puis en 2000, 2004 et à nouveau en décembre 2006 à la tête du Venezuela.


Le Brésilien a choisi une ligne de forte pente : pour augmenter sa croissance, le Brésil doit résoudre ses problèmes structurels d'instabilité monétaire, de fuite des capitaux, de protectionnisme des clientèles et des marchés. Il tourne le dos au populisme latino et s'inscrit dans la politique orthodoxe engagée par son prédécesseur. Hurlements de son extrême gauche. La corruption partout installée, y compris dans son parti, rend sa tâche difficile, les premiers résultats tardent.


Le Vénézuélien est, lui, extrêmement riche de pétrole : les exportations de brut rapportent 65 milliards de dollars au pays quand le PIB est de 182 milliards. "Héros des pauvres", Hugo Chavez distribue cette manne en contournant les administrations embourgeoisées. Cuba, pays frère, lui envoie des médecins en échange d'essence. Le prix du pétrole explose, les caisses débordent. La popularité du président auprès du peuple est grande.


L'an passé, la croissance du Brésil a enfin décollé au-dessus des 5 %, elle devrait rester à peu près à ce niveau cette année malgré l'impact négatif des subprimes nord-américains. Le real, la monnaie, est devenu solide au point de monter plus vite encore que l'euro vis-à-vis du dollar. Le pays était en 2002 au bord du défaut de paiement, le 30 avril, l'agence Standard & Poor's a requalifié la dette brésilienne en "investissement". L'inflation, qui dépassait 1 000 % il y a deux décennies, est revenue à 4,5 % l'an dernier. Les taux d'intérêt restent élevés mais à 15 %, ils permettent à la classe moyenne d'emprunter. Voitures, télévisions, logements, des millions de Brésiliens accèdent à la consommation.


Hugo Chavez a restreint les importations d'automobiles. Les prix se sont envolés. L'inflation dépasse 22 %. Le président s'en prend au secteur privé qui n'investit pas. En avril, il a nationalisé un producteur de lait et une firme de distribution alimentaire. Auparavant, il avait tordu le bras aux compagnies pétrolières internationales et exproprié les télécoms et l'électricité. Il veut maintenant rendre au peuple, à l'Etat pour être précis, les cimentiers (dont le français Lafarge) et l'aciériste Sidor, coupables de ne pas augmenter les salaires et de ne pas embaucher (l'amusant est que Sidor est en partie propriété de la famille Kirchner, les populistes présidents d'Argentine).


Au Brésil, ThyssenKrupp va investir 4,6 milliards de dollars dans une nouvelle aciérie. Le Brésil a bénéficié de 35 milliards d'investissements étrangers l'an passé, un montant en hausse de 84 %. Le marché de la classe moyenne attire les usines et l'emploi. Grande puissance agricole mondiale, le pays nourrit aussi une ambition industrielle. Retrouvant ses aises, le gouvernement a décidé d'une politique industrielle de 125 milliards de dollars pour développer les exports et la high-tech. Il vient même de créer un "fonds souverain", comme Dubaï ou la Chine, pour prendre des participations à l'étranger.


Hugo Chavez vient aussi de créer un fonds de 5 milliards de dollars. Mais pour défendre sa monnaie. Il achète des dollars présents dans le pays pour les sortir du marché noir où le bolivar est décoté d'au moins 50 %. Une double monnaie se met en place, ce qui permet aux banquiers d'engranger des bénéfices sans précédent.


Au Brésil, la corruption demeure. La pesanteur des immenses administrations aussi. Les pauvres attendent une retombée des richesses. Mais les richesses sont maintenant créées. Au Venezuela, Hugo Chavez n'a pas vaincu la corruption. Son père, gouverneur, en est accusé directement. La richesse est distribuée de façon très inefficace. Surtout, la richesse s'enfuit. Le taux de croissance a été quasiment divisé par deux. Malgré le quadruplement du prix du pétrole.


En France, Olivier Besancenot, le leader druckérisé de la LCR, déclare : "La "révolution bolivarienne" montre au monde entier qu'on peut non seulement parler d'anticapitalisme, mais aussi en faire." En effet.


Eric Le Boucher

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