CYCLE 05

Publié le par ledaoen ...

Se réveiller sur un lit d’hôpital est une troublante expérience, surtout lorsque une de vos jambes est engluée dans une importante masse de plâtre, qu’elle pèse une tonne, mais que -  histoire de vous emmerder un peu plus - on vous l’a attachée le pied en l’air, reliée à un portique bizarroïde, que votre bras droit est sanglé et recouvert d’une couche de gaze épaisse comme ma mère et qu’un tuyau transparent et flexible sort de votre bras gauche pour rejoindre une poche en plastique elle aussi pendue à un truc vertical en métal sur roulette, vous savez les trucs qu’on voit accrochés aux vieillards qui déambulent dans les couloirs d’hôpitaux ou des maisons de retraite dans les séries américaines. Je m’étais toujours demandé à quoi servaient ces machins sur roulette et ce coup là j’en avais un relié directement à mon bras.

Bordel y avait une aiguille grosse comme un joint qui était piquée dans mon bras sous un petit sparadrap, ils m’ont fait ça à moi qui ai une trouille viscérale des piqûres. Les salauds. Le cauchemar n’était donc pas terminé. Je me faisais l’effet d’un être hybride, sorte de fusion post-industrielle entre l’organique, l’aluminium et le plastique.

 

Je flottais dans une sorte de torpeur chaude, la situation me désespérait, d’autant que je n’arrivais que très lentement à remettre en place les souvenirs relatifs aux événements qui m’avaient mené là où je me trouvais, mais ce désespoir avait quelque chose de marrant, de secondaire. Je sentais en moi une distanciation, comme si je regardais de haut ce qui m’arrivait et que je rigolais intérieurement de l’air con que j’avais. Une sensation qui ressemblait à la torpeur amusée et détachée qui vous prend après vous être collé une ligne d’héro dans les naseaux. Je devais être chargé à la morphine ou à un de ses dérivés modernes. Y avait au moins un truc positif dans cette situation donc, j’avais de la dope gratos dans le sang.

 

Quittant la contemplation semi amusée, semi horrifiée de mon état post-humain, j’ai élargi le champ de ma vision quelque peu brouillée et j’ai vu, installée dans un fauteuil à deux mètres de mon lit de camp, Alexandra, planquée derrière une revue féminine à la con où elle devait se renseigner sur la meilleure façon de conclure rapidement une fellation sur un mec qui a un peu de mal à venir (c’est pas une blague j’ai trouvé ça une fois, dans une revue de gonzesse, chez le coiffeur du coin).

Elle n’avait pas vu que j’étais sorti de mon sommeil, ça me laissait un peu de répit, un peu de temps aussi pour décider comment j’allais m’occuper de son cas. La vie est un roman, et pour une fois j’en étais le héros, y a avait même une jolie brune qui veillait sur moi, soucieuse de mon état de santé, incroyable mais vrai, je ne cessais de réfléchir à la façon dont j’allais pouvoir tirer le maximum de bénéfices de cette situation, merde, y avait pas de raison que j’en profite pas un chouilla.

 

Les hôpitaux c’était pas trop mon truc, en fait j’avais mis les pieds deux ou trois fois aux urgences à des heures avancées de la nuit, à chaque fois pour des conneries post-alcooliques, genre ouverture d’une veine du bras suite à tentative de coller un pain à une vitre, ou alors mâchoire pétée, non pas dans une baston comme il aurait été glorieux de l’affirmer, mais en m’explosant de mes 1m90 sur le menton après m’être lancé dans un déhanchement techno plus que douteux sur un carrelage rendu extrêmement glissant par les flots de bière qui s’y étaient déversés. Je me souviens encore avoir relevé la tête lentement, bien sonné, avec tous ces blaireaux autour de moi qui me regardaient avec une fausse inquiétude teintée d’amusement, et d’avoir craché trois dents avant de tenter une saillie humoristique digne de mon personnage qui s’était finie en une sorte de gargouillement bizarre suivi d’un léger « cloc », le « cloc » c’était le bruit de mon menton qui était retombé sur le sol sans que je puisse le retenir pour le recoller à la partie supérieure de ma boite crânienne, je vous jure que ça fait un effet bœuf, même avec le sang saturé de tequila. A chaque fois je m’étais retrouvé aux urgences en train de foutre la zone pour faire le malin parce qu’il y avait toujours une jeune âme gentille à l’instinct maternel qui acceptait de m’y accompagner vu que j’étais pas en état de conduire et tout et tout. Rodéos dans les longs couloirs avec un fauteuil roulant (y en a toujours qui traînent aux urgences), exigences répétées de me faire soigner exclusivement par le Dr Benton, Mabuse ou Folamour c’était selon … Genre le mec à qui on a envie de coller un bon petit taquet pour finir de l’assommer quand on est médecin urgentiste de garde une nuit de pleine lune un samedi soir et qu’on a des fantômes en petits morceaux qui débarquent toutes les cinq minutes parce qu’on vient de les extraire d’une bagnole en bouillie à grand coup de désincarcérateur.

 

Une fois j’avais tenté de mettre un coup de boule à un toubib qui venait de remettre mes doigts en place tellement il m’avait fait souffrir. J’avais préalablement effectué un vol plané depuis un escalier en béton recouvert de glace, ben oui par chez nous les hivers sont rudes, et je m’étais ramassé sur les mains pour me protéger le visage. A première vue tout allait bien, j’ai ouvert les yeux après ma chute, cherchant à distinguer si y avait des morceaux qui étaient plus en place mais ça avait l’air d’aller, tranquille. Je me suis remis debout, tout en douceur, j’étais pas bourré ce coup là, c’était pas un état permanent, et puis je me suis dit intérieurement que j’avais eu un sacré bol après la chute que j’avais faite de me retrouver indemne, peinard, et que je pouvais continuer ma route vers le local de répétition où j’avais rendez-vous pour une séance d’enregistrement avec le groupe. J’ai voulu allumer une clope pour fêter ça et c’est là que j’ai vu le spectacle, Evil Dead dans le genre c’était soft. J’ai constaté que ma main n’entrait pas dans la poche de ma parka, y avait un truc qui bloquait. En fait mon index et mon annulaire formaient un angle droit, pétés en deux par le milieu, c’était une vision assez impressionnante deux doigts pliés en angle droit, surtout qu’on voyait l’os dépasser à l’endroit du pli, au milieu d’un magma informe tirant sur le rouge clair, rose gargouillis voyez, mélange de peau et de sang, beuark … Bizarrement c’est seulement à cet instant que j’ai commencé à sentir la douleur, et ce ne fut pas une partie de plaisir. Je me suis dit que pour l’enregistrement de la maquette c’était mal barré vu que je me voyais mal jouer du synthé avec mes doigts dans cet état, ça m’aurait demandé une réadaptation spéciale je crois, peut être même un clavier fabriqué exprès avec les touches sur plusieurs niveaux. Putain j’allais encore me faire tuer par les autres musiciens, genre qu’est ce que t’as encore inventé pour pas faire cette séance de studio.

 

A l’époque j’avais pas de voiture vu que pour avoir une bagnole, y a deux conditions obligatoires, avoir le permis de conduire, quoique ça encore on peut faire sans si on n’a pas peur des embrouilles avec la maréchaussée, et deuxièmement avoir du pognon, et pour ça c’était pas vraiment l’époque. De toute façon je me voyais mal conduire avec la main droite dans cet état là. A vrai dire j’étais un peu paniqué parce que putain c’était impressionnant la vision que j’avais de ma petite menotte explosée. Y avait une gendarmerie pas loin, con comme je suis je me suis dit que j’allais aller les voir et qu’ils allaient m’aider, ne serait-ce que pour me trouver un moyen de locomotion jusqu’à l’hôpital vu que ce dernier était situé en banlieue, à une dizaine de bornes comme il font maintenant pour tous les hôpitaux dans les grandes villes, à croire qu’ils veulent qu’on crève avant d’arriver histoire de faire baisser le nombre d’admissions vu qu’il y avait de moins en moins de place, surtout pour ceux qui comme moi n’avaient pas la super mutuelle qui tue et qui vous paye la virée avec l’ambulance dernier cri, sirène  hurlante et virages sur deux roues comme dans les séries américaines.

J’ai donc pris la direction de la gendarmerie, en prenant l’air le plus pitoyable possible. En fait j’avais pas eu vraiment besoin de me forcer cette fois là.

Le képi à l’entrée m’a regardé avec des yeux ronds comme des assiettes lorsque je lui ai collé ma main désarticulée sous le nez, moi j’en ai raoputé dans les grimaces et j’ai dit :

«  Dites Monsieur, il faudrait que j’aille à l’hosto là parce que ça me fait très mal et que c’est le genre de blessure qu’il faut traiter très vite si on veut que ça se remette bien correctement, et voyez vous, je n’ai personne pour m’y emmener et je me vois mal emprunter un bus bondé dans cet état. »

Il avait l’air un peu décontenancé le gaillard, tout jeune, tout bien rasé, l’uniforme impeccable, sans doute en train de faire son service national au sein de notre renommée police militaire.

« Heu ben voyez vous monsieur, je ne sais pas je … je peux pas quitter mon poste là et il n’y a que des fonctionnaires dans des bureaux à l’intérieur, je vois pas trop comment je pourrais vous aider là. »

Je vous jure que c’est vrai. Et je vous jure aussi que ma main ressemblait à une œuvre contemporaine d’un sculpteur new-yorkais défoncé au crack et que je faisais tout pour avoir l’air d’un mec qui en avait plus que pour quelques minutes à vivre, et encore parce qu’il faisait des efforts surhumains pour se raccrocher au mince filet d’espoir qui le séparait encore du monde des ténèbres … je devais foutre la trouille, terrible.

Ben non, le flic ou apparenté, il voulait rien savoir, il pouvait rien faire pour moi le con, j’étais censé me démerder. J’ai tenté de gueuler un peu histoire d’ameuter un ou deux fonctionnaires qui dormaient à l’intérieur du bâtiment, le gars me regardait de plus en plus gêné, mais pas décidé à bouger d’un poil, incroyable. Faut croire qu’on leur enseigne à surtout ne rien faire d’autre que ce qui est écrit dans le règlement, le petit fascicule qu’on leur remet au moment où ils arrivent.

Finalement y a un mec d’un quintal de poids - à vue de nez - qui a fini par arriver au vu du raffut que je commençais à semer, il a ouvert la porte d’un coup, presqu’envoyé le planton dans les choux d’un coup de reins, m’a collé deux yeux qui se voulaient perçants et méchants, alors qu’ils étaient surtout emplis d’alcool bon marché mal assimilé, et il a gueulé, dans une vapeur peu ragoutante :

« C’est vous qui foutez tout ce bordel ? Qu’est ce que vous voulez ? Vous voulez qu’on vous enferme en dégrisement pour vous calmer ? »

J’ai fermé mon clapet et j’ai remonté ma main à hauteur de ses yeux, le regard implorant.

« Il faut que quelqu’un m’emmène à l’hôpital m’ssieur. »

Il a accusé le coup mais assez vite finalement, mieux que je l’aurais pensé, finalement je faisais pas autant d’effet que ça avec ma blessure, ça m’a fait chier vous pouvez pas imaginer. Ceci dit ils doivent en voir des trucs bizarre les flics, on imagine pas sur quoi ils doivent tomber même s’il y a des séries américaines qui vont assez loin dans le réalisme sanguinolent maintenant, mais bon c’est les States, ici doit y avoir un parfum un peu paysan supplémentaire, l’odeur du fumier en plus, je suis sur que le fait divers le plus crade qu’on puisse trouver aux Etats-Unis ne sera rien en comparaison de la glauque vomissure du fait divers correspondant dans notre beau pays aux mille fromages, rien que de savoir qu’on est un pays de fromages ça me glace le sang, ça remet une louche de dégueulasserie vous trouvez pas ? Un soupçon de fondant. Une larme de puanteur en rabe. Un doigt de chiasse quoi.

Vous méprenez pas j’adore le fromage.

Le gars il était gros deux fois comme moi environ, la chemise blanche, pour être plus précis elle avait du être blanche autrefois, les grosses auréoles sous les bras et la cravate noire pendante et mal nouée, un cliché ambulant, il s’est quand même un peu adoucit :

« Ben je vois bien votre problème jeune homme mais voyez vous nous n’avons aucun véhicule disponible et encore moins un agent pour le conduire. Va donc falloir que vous vous débrouilliez tout seul, avec toutes mes excuses. Mais allez voir les pompiers, ils vous emmèneront à l’Hôpital eux, c’est leur boulot. Ca va aller avec les pompiers vous inquiétez pas Mais maintenant va falloir partir d’ici hein jeune homme, parce qu’on a des choses importantes à traiter. Vous passerez nous dire un petit bonjour lorsque vous serez soigné d’acc ? Allez sur ce. »

Sur ce il m’a poussé un peu pour faire rentrer son planton et lui derrière et claquer la porte d’un coup sec pour s’en aller vaquer à ses activités de première importance. Il ne lui était même pas venu à l’esprit à ce connard, que la caserne des pompiers se trouvait à l’autre bout de la ville, presqu’aussi loin que l’hosto mais dans l’autre sens. IL LUI ETAIT MEME PAS VENU A L’ESPRIT A CE PAUVRE CONNARD, QU’IL POUVAIT PASSER UN COUP DE FIL AUX POMPIERS POUR QU’ILS VIENNENT ME CHERCHER ICI ????.

Putain c’était vraiment à désespérer de notre service public … J’avais jamais imaginé que celui-ci était très efficace mais là j’ai vraiment été soufflé. Sérieux. En d’autres temps, je veux dire si j’avais pas cette douleur atroce qui me transperçait la main pour s’enfoncer de plus en plus haut dans le bras, je crois que je me serais fendu d’une petite action d’éclat complètement inutile mais qui fait son petit effet, genre me mettre à danser sur les toits des bagnoles privées des fonctionnaires qui traînaient là, ou m’assommer en me projetant contre la porte vitrée (après avoir bien vérifié qu’elle soit bien  en plexiglas incassable) de cet auguste bâtiment public… Ben oui mon passé d’adolescent punkoïde ressortait parfois, mon passé d’adolescent tout court aussi d’ailleurs, encore plus souvent je crois bien.

 

Il ne me restait donc plus grand-chose d’autre à faire que d’attraper un bus, emprunter notre magnifique réseau de transport urbain, me payer un ticket de bus à 1 euros pour pouvoir me rendre aux urgences, le tout aux heures de pointe avec ma main en bouillie. Je me demandais vraiment à quoi servait le pognon qu’on me retenait scrupuleusement tous les mois sur mon maigre bulletin de salaire pour une soi disant sécurité sociale.

Chiottes ! Y a vraiment des connards en ce bas monde qui poussent au poujadisme intégral.

J’ai donc pris le bus, et finalement ce ne fut pas si terrible. J’en ai même profité pour m’amuser un peu. Demander à une mamie si elle voulait bien me laisser sa place en lui collant ma main sous le nez, et la mamie qui s’exécutait dare-dare. Trop ! La mamie qui récupère sa canne et qui se lève avec un air horrifié. En y réfléchissant plus tard je me suis demandé si en fait elle avait pas juste eu la trouille et voulu s’éloigner le plus vite possible de cette vision d’apocalypse, ma main comme révélateur de la présence du démon parmi nous, y avait quand même de quoi sourire si j’avais pas cette paralysie qui me prenait de plus en plus tout le côté droit de mon anatomie. J’ai donc fini par arriver à bon port, pour une fois, sans doute parce que je devais avoir l’air à jeun, un toubib est venu m’examiner tout de suite, et c’est à lui que j’ai manqué de coller un coup de boule lorsqu’il a d’un coup sec, sans prévenir, alors qu’on discutait peinard de choses et d’autres, redressé mes deux doigts. Putain ça a fait un « crac » abominable. Le toubib avait visiblement l’habitude, il avait vu le coup venir et a très efficacement esquivé le boulet de canon qui devait lui exploser le nez en mille petits fragments d’os, le truc impossible à reconstituer, j’avais de l’entraînement à ce genre d’exercice, jamais vu plus efficace qu’un bon coup de boule bien placé pour clore une conversation qui risquait de virer au lourdingue. Bon là j’avais raté ma cible mais en d’autres occasions ça m’avait rendu service.

 

En attendant j’étais toujours sur ce lit d’hôpital, shooté comme Kurt Cobain qui s’apprête à accomplir son devoir conjugal avec cette salope de Courtney Love, harnaché de métal et de plastique, après une petite séance de catch avec un doberman énervé, le tout pour faire plaisir à une petite chieuse, mignonne mais chieuse ouais, et pour éviter de me réveiller trop vite, de revenir dans le vrai monde , me voila parti dans une ribambelle de souvenirs d’ancien combattant estropié allant même jusqu’à émettre des réserve quant à l’organisation de notre putain de société. Comme si j’avais une conscience sociale. Incroyable ce qu’on arrive à se raconter comme balivernes quand on tente avec une inconsciente ferveur, de s’évader d’une situation … disons inconfortable.       

 

Je ne savais toujours pas comment je devais réagir, quels devaient être mes premiers mots à mon réveil aux autres, à Alexandra. J’avais laissé pas mal de trucs en plan, j’avais une répète ce soir, demain, j’étais censé aller bosser pour prendre les coups de fil des mamies inquiètes, et je savais pas comment gérer tout ce bordel. Je savais même pas l’heure qu’il était. En gros je retardais au maximum le moment où j’allais devoir faire semblant de réfléchir pour prendre des décisions, en même temps je savais bien que cette situation de tranquillité due à ma feinte inconscience ne pouvait certainement pas s’éterniser au-delà du raisonnable. Déjà Alexandra semblait commencer à trouver le temps long, ça se tortillait sur le fauteuil en skaï, ça toussotait et ça soupirait longuement. Fallait pas qu’elle se casse quand même, je pouvais avoir besoin d’aide, et surtout, j’avais deux ou trois trucs à régler avec elle au sujet d’une certaine journée du patrimoine.

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ledaoen ...

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