La crise financière arrive en France - Chronique de la pensée multiple, par Valérie Giscard d'Estaing

Publié le par ledaoen ...

L'implosion bancaire américaine

Aujourd'hui, chacun est placé devant l'évidence : le système bancaire de Wall Street a implosé.

C'est une crise créée par les banques elles-mêmes, plus exactement par celles de Wall Street et de Londres, c'est pourquoi il faut parler de « crise bancaire ». La situation ressemble à celle des joueurs de casino qui, à la fin de la partie, n'ont plus d'argent pour rembourser les dettes qu'ils ont contractées.

Depuis quelques années, les établissements bancaires de Wall Street avaient développé, à côté de leur activité normale, un secteur hautement spéculatif. Le ressort de cette spéculation s'appuyait sur de l'argent emprunté à bon marché et fourni par la Banque de réserve fédérale, argent avec lequel on consentait des prêts à taux élevés. Les opérateurs du système ont inventé une manière de dissimuler les risques en les mélangeant habilement au sein de « produits » nouveaux, baptisés CDO. Personne n'était capable d'analyser leur contenu. Le postulat de base reposait sur la croyance que les prix de l'immobilier monteraient indéfiniment aux Etats-Unis. La tendance s'est inversée. Les investisseurs n'ont plus voulu acquérir les CDO devenus invendables, et les banques ont vu fondre la valeur de leur actif. Ce désastre spéculatif est intervenu à un moment où l'économie mondiale est en phase de ralentissement. Ces deux phénomènes sont distincts, mais leurs effets sont cumulatifs.

On aperçoit dès lors le chemin à suivre

-Aux Etats-Unis, reconstituer la liquidité du système bancaire pour permettre aux banques d'exercer leur fonction normale, tout en évitant soigneusement d'indemniser ou de relancer la spéculation. Le remède utilisé consiste à faire racheter par l'Etat, à leur valeur réelle, les créances douteuses des banques.

-Dans la zone euro, où la solidité de la monnaie a évité que la crise ne dégénère et où les grandes banques commerciales se sont tenues à l'écart de la spéculation, bien que certains établissements spécialisés aient acquis des CDO pour gonfler leurs profits, on doit rechercher les motifs pour lesquels les systèmes de contrôle de l'activité bancaire se sont montrés inopérants sans déceler le problème ni lancer d'avertissement.

L'Europe est certes moins touchée par cette crise, mais elle doit devenir consciente que le libéralisme financier a besoin d'être régulé pour éviter d'être livré à l'avidité-et aux innovations-des spéculateurs.

Extrait du journal intime du roi Louis XIV

« Versailles, le 18 septembre 1688. J'avais décidé cette nuit-là de dormir dans ma grande chambre d'apparat, au lieu de la chambre plus petite et plus facile à chauffer. Mon intention était de m'éveiller tôt, juste au lever du jour, pour aller courir le cerf dans la forêt de Marly. Effectivement, la pointe du soleil m'a ouvert les yeux et c'est alors que j'ai aperçu le monstre. C'était une bête rouge, haute de quinze pieds, qui pendait du plafond. Elle se balançait avec le souffle de l'air. J'ai frappé des mains pour l'effrayer. Mon valet a pensé que je l'appelais, et il a franchi le seuil. Dès qu'il a aperçu la bête, il a tremblé de tous ses membres : "C'est le diable ! c'est le diable !" murmurait-il. Il me semblait plutôt que c'était un crustacé, un homard géant, multiple de ceux qui arrivent de la Bretagne dans nos cuisines.

"Retrouvez vos esprits, Damien, et précipitez-vous chez Sa Majesté la Reine pour vérifier qu'elle ne souffre pas d'une apparition semblable. Et donnez-moi mon épée, afin que je transperce la bête."

Je me suis rendu dans le salon de l'Oil-de-boeuf pour y attendre le retour de Damien. Il est revenu en courant, l'haleine essoufflée.

"Sire ! Sire ! m'a-t-il crié en se ployant en deux. Je n'ai pas pu me rendre chez la Reine. Son antichambre était garnie d'ustensiles étranges, singuliers, disposés pour nettoyer et cirer les parquets. Dès qu'ils m'ont aperçu, ils ont pris peur, et ils dégringolent maintenant dans l'escalier."

Je suis revenu dans ma chambre. La fenêtre était grande ouverte, et la bête avait dû se casser une pince en sautant, car je la voyais clopiner en courant vers la grille d'entrée. Elle y était rejointe par toute une file d'objets, des boules, des coeurs, un lapin boursouflé poursuivi par un chien ballonné, des fausses fleurs, qui cherchaient à s'échapper avec elle. Et un homme, leur gardien, leur accompagnateur, que sais-je, courait lui aussi au milieu de toutes ces choses contrefaites, et je pouvais aisément suivre sa trace, car il s'écoulait des poches de ses chausses brunes un filet continu de louis d'or.

L'apparition s'est évanouie. Je peux enfin me préparer à partir pour Marly. Mais auparavant je m'arrête à contempler mon beau Versailles paisible, la longue pente de la cour aux pavés gris, cette demeure que j'ai bâtie avec amour pour qu'elle préserve la trace de ma gloire, et celle du Grand Siècle de la France, longtemps après que les homards auront replongé dans l'océan. ».

Valéry Giscard d'Estaing, pour Le Point

Article dans son édition originale

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