Chasse aux gogos : Pour les médecins et les experts, les antennes relais sont inoffensives

Publié le par ledaoen ...


L'Agence française de sécurité sanitaire de l'environnement et du travail juge après l'Académie de médecine que les radiofréquences ne sont pas dangereuses pour la santé.


L'Agence française de sécurité sanitaire de l'environnement et du travail (Afsset) rend public jeudi 15 octobre les résultats d'une expertise collective sur les effets biologiques et sanitaires de la téléphonie mobile et de l'ensemble des ondes de radiofréquences. L'expertise a été lancée le 14 août 2007 à la demande des ministères en charge de la Santé et de l'Environnement. Ce document est rassurant. «Les données issues de la recherche expérimentale disponibles n'indiquent pas d'effets sanitaires à court terme ni à long terme de l'exposition aux radiofréquences», peut-on lire dans les conclusions de ce document.

 

Voici, en France, une affaire sans précédent : l'Académie nationale de médecine vient de condamner publiquement deux décisions de justice concernant des affaires d'antennes-relais de téléphonie mobile. Ces appareils sont de plus en plus accusées d'être nuisibles par certaines personnes vivant à leur proximité. L'initiative est d'importance quand on sait que cette vénérable institution, fondée en 1820, est en charge de conseiller le gouvernement français sur les grandes questions sanitaires. Or elle accuse aujourd'hui des magistrats -par définition indépendants-  de ne pas avoir fondé leur décision sur des données scientifiques. Elle dénonce aussi avec vigueur l'usage qui est fait du principe de précaution par une justice qui s'éloigne des données objectives et fait une priorité du «ressenti des plaignants».

A peine les académiciens venaient-ils de s'exprimer que le gouvernement annonçait l'organisation d'une «table ronde» sur ce thème programée le 26 mars. Plusieurs organisations d'écologistes, postulant la nocivité de la téléphonie mobile crient victoire et réclame un «Grenelle du portable». On attend désormais de savoir qui l'emportera, des blouses blanches ou des militants verts désormais soutenus par des robes noires.

La réaction de l'Académie de médecine fait suite à deux récents jugements qui ont fait grand bruit. Le  16 février, la société SFR  était condamnée par le tribunal de grande instance de Carpentras (Vaucluse) à démonter l'une de ses antennes-relais située à Châteauneuf-du-Pape. L'affaire devait avoir d'autant plus d'écho que quelques jours auparavant Bouygues Télécom avait également été condamné par la Cour d'appel  de Versailles à démonter une antenne située sur la commune de Tassin la Demi-Lune (Rhône). Dans les deux cas, les mêmes causes supposées produisaient les même effets, les magistrats ont tranché en faveur des plaignants. Les décisions sont pour l'essentiel fondées sur l' « incertitude » dans laquelle la science se trouverait quant à dire ci ces appareils ont, ou non, un impact sur l'organisme de certaines des personnes vivant à proximité. Est aussi invoquée, de manière plus traditionnelle, la notion de «trouble anormal de voisinage».

Nul ne doute qu'existent ici des troubles de voisinage puisque l'affaire arrive devant la justice. Quant à savoir si nous sommes dans l'incertitude, l'Académie de médecine est formelle. «Les antennes de téléphonie mobile entraînent une exposition à des champs électromagnétiques de 100 à 100.000 fois plus faible que les téléphones portables : être exposé pendant 24 heures à une antenne à 1 volt par mètre donne la même exposition de la tête que le fait de téléphoner avec un téléphone portable pendant 30 secondes», rappelle cette institution. On ne connaît d'autre part aucun mécanisme par lequel les champs électromagnétiques dans cette gamme d'énergie et de fréquence pourraient avoir un effet négatif sur la santé. L'Organisation mondiale de la santé  et la Commission européenne  se sont prononcés unanimement sur l'absence de risque de ces antennes.»  Elle ajoute, preuves à l'appui, que les magistrats font une lecture erronée de la littérature scientifique.

Poursuivant son réquisitoire l'Académie ajoute qu'à ce jour aucun système sensoriel humain permettant de percevoir ce type de champ électromagnétique n'a pu être identifié. Et tel est bien là le nœud de l'affaire : existe-t-il on non des personnes dont on peut démontrer qu'elles souffrent  bel et bien d' «hypersensibilité électromagnétique»?

Selon l'OMS « l'hypersensibilité électromagnétique » est une entité nouvelle de plus en plus fréquemment observée dans de nombreux pays industriels. De quoi s'agit-il ? D'un concept relativement flou réunissant  divers symptômes que les perssonnes concernées attribuent dans tous les cas à leur exposition à des champs électromagnétiques. Parmi les symptômes les plus fréquemment présentés, l'OMS cite des signes dermatologiques (rougeurs, picotements et sensations de brûlure), neurasthéniques et végétatifs (fatigue, lassitude, difficultés de concentration, étourdissements, nausées, palpitations cardiaques et troubles digestifs). Mais l'OMS d'observer que l'on rencontre couramment dans la population générale des symptômes similaires à ceux des personnes se plaignant des champs électromagnétiques.

Les estimations disponibles sur la prévalence de cette hypersensibilité dans la population varient de manière considérables, passant de quelques personnes par million d'habitants à des chiffres beaucoup plus élevés. Il existe aussi d'étranges disparités  géographiques.

Dès 2005 l'OMS notait que la Suède, l'Allemagne et le Danemark étaient nettement plus concernés que le Royaume-Uni, l'Autriche ou la France. Dans l'Hexagone la situation semble toutefois évoluer d'autant plus rapidement que les traitements médiatiques sans nuances du phénomène augmentent régulièrement en fréquence.

Pour sa part l'Académie nationale de médecine rappelle que la quasi-totalité des études sur ce nouveau concept ont montré que les personnes  concernées manifestent bel et bien des « troubles variés » en présence de dispositifs émetteurs de champs électromagnétiques. Mais elle ajoute aussitôt que d'autres études établissent que ces mêmes personnes sont incapables de reconnaître si ces dispositifs sont en activité ou pas. En d'autres termes les mêmes troubles apparaissent en présence, ou non, d'un champ électromagnétique. Selon elle « l'angoisse ou la phobie en présence d'émetteurs de ces champs  peuvent être réelles et justifier une prise en charge adaptée ».

Mais ce serait non pas une erreurs mais bien une faute que de laisser croire à ces personnes qu'une  réponse thérapeutique efficace viendra des tribunaux plutôt que des cabinets médicaux. Car le fait est là dûment établi en psychiatrie: celles et ceux qui se vivent comme victimes des « ondes » seront tous sauf aidés par la compassion manifestée à leur endroit par des robes noires. Et le paradoxe actuel est ici d'autant plus saisissant que l'on sait qu'en d'autres temps la justice brûlait volontiers ceux qui, « possédés »,  invoquaient les effets d'ondes, plus diaboliques que celles découvertes par les découvreurs de l'électricité et du magnétismes.

L'affaire ne s'arrête pas là. «La prééminence du «ressenti» du plaignant, si elle fait jurisprudence, remet en cause les fondements mêmes de l'expertise scientifique et médicale, au risque de laisser la porte ouverte à des décisions lourdes de conséquences en matière de santé publique, observe encore l'Académie. Une telle utilisation dévoyée du principe de précaution risque de conduire à une quête illusoire du « risque zéro », source d'erreurs, de retards et de dysfonctionnements du système de santé. » Cette affaire vient, de manière exemplaire, témoigner des dangers sociaux considérables inhérents à l'évolution contemporaine de l'action judiciaire. Loin de se borner à dire le droit nous la voyons de plus en plus fréquemment, sous l'œil des caméras, sembler prendre plaisir à remplir une fonction thérapeutique vis à vis de ceux qui s'adressent à elle. Jusqu'où ? Et qui pourra nous aider à saisir les raisons profondes de cet affrontement délétère entre blouses blanches et robes noires ?

 

Kléber Ducé, Pour Slate.fr
Article dans son édition originale 

 

Publié dans Chasse aux gogos

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