L'EXIL DE DANTEC

Publié le par Jean-Baptiste Santamaria

Pour votre Noël, je vous soumets un texte brillant écrit par Jean-Baptiste Santamaria au sujet de l’écrivain Maurice Dantec.

S’il mérite un peu de concentration et d’attention, ce texte superbe nous livre une analyse passionnante du parcours intellectuel de ce grand écrivain français exilé au Canada.

Bonne lecture.

ledaoen …

L'EXIL DE DANTEC

La métaphore politique de l'exil chez M G Dantec

Par Jean-Baptiste Santamaria 

 

Préambule :

Sous ses allures de romancier futuriste, familier des fractales et se revendiquant des paradigmes de la complexité ou de la « nouvelle alliance » de Prigogine et Stengers, ennemi déclaré du mécanisme, Dantec n'en reste néanmoins on ne peut plus cartésien.

Comme dans le fameux arbre de Descartes, pour Dantec, toute science, toute épistémologie, toute politique, se fonde sur une métaphysique, qu'elle soit déclarée ou non.

Etant entendu que tout système se construit sur un fondement d'une essence étrangère à ce qu'il fonde.

Très logiquement (cartésiennement, par chaînage arrière) M G Dantec va s'ingénier tout au long de son oeuvre à tendre vers la source fondamentale de tout ordre, de tout Cosmos.

Quant à la question du fondement, Dantec suit là les traces de Martin Heidegger dont l'analyse de la technique repose sur une élucidation de son essence (jugée comme non technique elle-même) et par là à une critique de la « métaphysique » (au sens qu'Heidegger donne à ce terme).

Derrière la question de la technique, s'engouffre plus largement les questions du fonctionnalisme, de la démocratie de masse, du libéralisme, donc de toute la question « sociale », disons plutôt politique.

Partant de ces précautions préalables, le décor futuriste, les prises en compte technologiques (neuro-sciences de demain), qui constituent le cadre de son oeuvre romanesque, ne doivent être entendus que comme étape première d'un itinéraire, littéraire (avant tout, sans doute) et politique donc métaphysique.

C'est cette régression (au sens logique) vers le noyau ontologique du phénomène de l'être et de l'exister qu'opère Dantec ; nous tenterons dans ces lignes d'approcher cet itinéraire notamment autour de son exil réel et métaphorique et d'en proposer un sens.

Partant d'un premier état des lieux-la première période de l'exil- nous tenterons ensuite de nous couler dans sa métaphysique. Dérouler les longues chaînes de raison depuis les notations existentielles, dont le phénomène politique est un sous -ensemble, jusqu'à Dieu qui est semble-t-il l'Omega dantequien (comme son alpha).

Pour aller vite : partant d'un constat de l'insignifiance de la société contemporaine qui se bouscule narcissiquement et compulsivement autour du spectacle de sa propre décomposition et du constat corrélé que cette dite société a bien du mal à faire face au totalitarisme (ré-)émergeant qu'est l'Islam, Dantec va tenter le décryptage des racines du mal. Si Léon Bloy est son modèle déclaré, Dantec emprunte beaucoup à Pascal, au polémiste des Provinciales, comme au logicien des Pensées. Même constat de la finitude et de l'insignifiance du ciron existentiel et « social », mêmes virulences des dénonciations.

Comme de nombreux penseurs contemporains,Dantec fait remonter la crise européenne (au sens husserlien d'une Krisis) au grand schisme européen de la Renaissance. Eclatement de l'Europe catholique et amorçage de la longue série des guerres civiles européennes et de la grande aventure de la Modernité. En simplifiant : se met en place une opposition entre un monde plutôt nordique, protestant, libéral et pragmatique et un monde latin, catholique, plus rétif aux canons de la seule industriosité et d'une nouvelle théologie centrée sur l'Homme et ses Droits.

Face au déchirement consécutif aux guerres de religion les nouveaux dirigeants (les grands monarques centralisateurs européens) vont imposer un imaginaire nouveau, celui de la Nation et du Droit. Cette marche irrésistible (Tocqueville) vers la démocratisation et la centralisation, largement initiée par les Monarchies sera poursuivie par les élites bourgeoises (libéralisme).

Cette modernité sera fertile en nouvelles théologies politiques (Carl Schmitt), toutes articulées autour du concept d'Humanité : classe, race, progrès, droits de l'homme etc

Dans sa démarche de régression vers les causes initiales Dantec va même au-delà de la Renaissance : il pointe la querelle des Universaux comme premier pas vers la conceptualisation de l'homme. Dantec va se faire philosophe médiéviste et en amont encore devenir familier de la patristique. Son combat contre la modernité se veut donc radical.

Une dénonciation cohérente, donc, de la modernité attaquée dans ses attendus et présupposés fondamentaux -métaphysique contre métaphysique. Même si la métaphysique de la modernité est refoulée par certains de ses partisans, en effet celle-ci n'opère qu'au nom de la raison, cette dernière étant à son tour réduite à une dimension logico-instrumentale dans sa visée qu'est, pour l'homme, son devenir « comme maître et possesseur » de la nature. Officiellement donc, pas de métaphysique déclarée pour le « libéralisme » mais un projet de mise en place d'une rationalité froide et efficace se fondant sur l'objectivité scientifique, en amont de toute valeur éthique. Dantec rejoint le travail critique de la modernité opéré par J C Michéa (modernité=libéralisme pour ce dernier).

Pour Michéa la neutralité du Marché et de l'univers du droit régissant le tout social de même que l'objectivité scientifique et de son bras armé, la technique, est censée être en amont de tout choix axiologique ; donc apte à intervenir dans la sphère déchirée par les conflits de valeurs se déchaînant sans discontinuer durant toute la période moderne ; neutralité affichée car le choix entre valeurs relève alors de la sphère privée.

Chaînage arrière donc, vers les fondamentaux de la modernité et plus en amont encore vers les querelles médiévales et des premiers conciles. Ses références à une critique du monopsychisme par exemple. Critique assez allusive pour des non spécialistes, cette question semble renvoyer (Malebranche ?) à la question du caractère continu ou non de la création et en corollaire celle de la liberté humaine. Si l'homme n'est qu'une partie d'un univers causé par une impulsion initiale (pichenette divine originelle) suivie d'un déterminisme étroit (hypothèse semble-t-il récusée par Dantec) alors quid de la liberté ?

Au contraire, l'oeuvre romanesque de Dantec et en premier lieu Cosmos incorporated, semble irriguée par une métaphysique (progressiste ?...) de la liberté humaine. En effet, non seulement - nous l'avons signalé avec la référence à la notion de Chaos déterministe empruntée aux catégories des épistémologies non « mécanistes » (théorie des catastrophes, fractales etc)- l'univers serait constitué d'une succession d'états supercritiques (instables), où le moindre événement (perturbation aléatoire) peut entraîner des conséquences insoupçonnées (théorie de l'Effet papillon), mais encore il semble (à voir les créatures de Cosmos incorporated) qu'un grand mystère dépasse et transcende le visible ou encore qu'un Deus absconditus encode le réel.

Suivant la démarche de MG Dantec notre propre plan d'exposition pourrait être :

1-Etat des lieux sur l'insignifiance du monde (ou Misère de l'homme sans Dieu).

2-Primat cartésien de la métaphysique (ou A la recherche de l'encodage primordial).

2 bis- Développements autour de la notion deleuzienne revendiquée de synthèse disjonctive.

3-Littérature et exil.

Notre thèse quant à la signification de l'exil pour Dantec pourrait ensuite se formuler ainsi :

Le Québec est le lieu historique et géographique de rendez-vous manqués et de confrontations internes à l'imaginaire européen. Oppositions entre une variante anglo-saxonne de cet imaginaire, faite de pragmatisme, de libéralisme, bref de protestantisme, variante incarnée par l'Angleterre et ses descendants américains (fraction de l'imaginaire européen puis Occidental), et un imaginaire gréco-latin, catholique (universel). Face au danger islamiste qui puise sa force de la décomposition occidentale, il faudrait alors s'orienter vers un en-deça du grand schisme dévastateur prologue de la modernité, condition de l'unité du monde occidental. Dantec propose explicitement, dans American Black Box, un nouveau concile théologico-politique pour combler le fossé consécutif à cette scission originaire. Comme on ne saurait flotter, comme Dieu ou le Concept, au dessus du néant (et de l'Etre), M G Dantec opte, quant à lui, pour la forme qu'il estime la plus rigoureuse et la plus cohérente : le baptême catholique, apostolique et romain ; mais laissant toute liberté aux hommes (ses lecteurs comme ses héros de roman).

Ceci énoncé, Dantec n'est-il simplement qu'une anti-lumière, un réactionnaire ? Sa volonté d'un retour à un avant de la modernité, sa quête d'une identité européenne, d'un communautarisme catholique en font-elles un anti-moderne ?

Cependant son combat contre le « monopsychisme », sa mise en avant de la liberté humaine comme donnée ontologique et ontique première, son combat même pour un universalisme bien qu'incarné (le catholicisme) en opposition à l'universalisme abstrait du concept (l'Humanité, les droits de l'Homme etc) fait de Dantec un continuateur de l'imaginaire européo-occidental de la Liberté en tant qu'attribut humain.

Mais il nous semble clair que le projet dantequien n'est pas qu'une nouvelle mouture de l’humanisme.

Il est sûr que Dantec ne se laisse pas facilement enfermer dans des concepts, des catégories des étiquettes. Ses propres positions instantanées (sur la Serbie par exemple) varient en fonction du temps (ces révisions sont d'ailleurs toutes à son honneur).

Sa démarche de lucidité d'un homme engagé dans le réel mais se donnant les moyens d'un recul (dialectique de la mystique et de la politique chez Péguy) n'est pas sans rappeler celle de Drieu la rochelle, sous le patronage duquel il se place (voir les longs développements dans TdO que Dantec lui réserve). L'écriture en parallèle de son oeuvre romanesque et d'un journal métaphysique qu'il annonce limité (à trois tomes) n'est pas sans rappeler Récit secret (journal) et les Chiens de paille (roman), oeuvres ultimes faisant toutes deux à leur manière le point sur l'engagement politique et la décision du suicide de Drieu.

Revendication du droit à l'erreur comme de la responsabilité politique de l'intellectuel.

Comme Drieu (et plus encore comme Hunttington qui fait comme Dantec son autocritique sur sa « ligne serbe ») Dantec revendique un droit à l'erreur et à la rectification (l'anachronisme repentant en moins).

Les anti-occidentalistes qui brandissaient son attitude quant aux frappes alliées en Serbie ont désormais un argument de moins. Rappelons que Dantec (comme Hunttington) ne soutenait en rien la pénétration de l'Islam au coeur de l'Europe au service de son affaiblissement vu du côté US mais développait une ligne anti-totalitaire (recyclage nationaliste des nomenklatura staliniennes de Milosevic).

Dantec démontre son statut d'homme libre, de critique lucide et engagé, sans concessions aux modes et rapports de force du moment.

Mais pour mener ce combat métaphysique dans la complexité du réel il prône un réarmement de la littérature : « le Roman noir, la Science-fiction, la culture underground, c'est de ces moyens qu'il faudra partir pour construire le roman du futur, une machine littéraire synthétique [...] cette production littéraire devra se considérer comme une arme de pointe chargée de bouleverser notre perception du monde, en y transmutant toutes les valeurs, en créant pour l'époque rien moins qu'une monstruosité esthétique... » Périphériques page 119

On l'aura compris, le combat axiologique pour le rétablissement de l'Occident est pensé chez Dantec comme combat pour une nouvelle esthétique.

1-Le constat de vacuité :

Quant à la signification de l'exil, évacuons d'ores et déjà la vulgate d'un Dantec proaméricain à outrance. Toute son analyse de l'insignifiance de la période contemporaine est une critique explicite de l'american way of life, tel qu'étendu à tout l'Occident et une large partie de la planète ; si on entend par ce mode de vie un matérialisme consumériste et son spectacle. Cette analyse jointe au dégagement des conditions métaphysiques du déploiement du monde moderne et contemporain prouve l'antagonisme radical de Dantec au monde de l'homofestivus. Son occidentalisme revendiqué, sa défense des judéo-croisés ne vaut que comme anti-anti-américanisme. Anti-américanisme largement partagé dans les sociétés française et québécoise pour des raisons historiquement diverses. Ceci dit, l'exil au Québec ne vaut donc pas pour adhésion au rêve américain de la tabula rasa et de la nouvelle frontière.

Le rêve d'égalité et de liberté analysé justement par Arendt n'est pas précisément celui de M G Dantec. Tout au plus, au début, quelques mouvements d'humeur quant à la société française, l'arrogance de ses racailles, et la nullité de sa gauche caviar induisent quelques réactions l'apparentant au métropolitain en partance pour la Nouvelle Calédonie ou quelque reste de l'Empire de Jules Ferry.

Une fois cette vulgate évacuée nous allons tenter alors d'évaluer le sens de cet exil québécois.

La piste dégagée en préambule suggérait un itinéraire intellectuel à l'intérieur du temps plutôt que dans l'espace. C'est comme si sur les terres de la Nouvelle France, lieu de combats de défaites et déportations (épisode de l'expulsion des Français vers la Louisiane) entre Anglais et Français, Dantec venait chercher la clé de la réconciliation européo-occidentale, la fin d'un schisme entre deux pôles indispensables à l'identité occidentale. Fin des grandes guerres civiles européennes, fin nécessaire à la mise ne ordre de bataille face à l'Islam, totalitarisme actuel. N'oublions pas que Jules Monnerot avait en son temps qualifié le communisme de nouvel Islamisme. En effet l'opposition entre Islam et Occident est plus profonde, plus durable que les oppositions entre factions occidentales ; factions organisées autour des nombreuses croyances sécrétées par cette Europe comme substituts à la désacralisation progressive de nos sociétés occidentales depuis la Renaissance. Déréliction, disparition de la transcendance religieuse plutôt que désacralisation effective d'ailleurs. En effet l'imaginaire fertile de l'Occident va produire nombre de substituts à Dieu comme garant du « vivre ensemble ».Nation, classe etc, investis des charges sacrées anciennement dévolues vont tant bien que mal remplacer celui-ci.

En partant vers le Québec c'est à un voyage dans le temps (aux sources du schisme) plutôt que dans l'espace (déjà mondialisé, homogène) qu'opère Dantec. Son projet consiste à tenter d'accrocher une nouvelle occasion de rencontre intra-occidentale ; retrouvailles, nous l'avons dit entre la mentalité pragmatique (des anglo-saxons) et une mentalité « romaine ». Cette réconciliation sera scellée, au moins quant à l'individu Dantec autour du baptême.

Voilà précisée notre piste.

L'état des lieux de la société contemporaine comme vide ou insignifiance est diagnostiqué aussi bien dans les trois tomes des TdOpérations que dans les descriptions apocalyptiques des sociétés postdjihadistes (décor de Cosmos incorporated).

Ce vide, monde onusien, Big brother est à chaque fois structuré autour de l'idéologie des Droits de l'homme. Ou plutôt une valeur pour laquelle les termes de libéralisme économique, politique, de démocratie, de Droits de l'Homme sont indistinctement utilisés.

Eh bien ! Dantec va s'attaquer radicalement à ce noyau de « significations imaginaires sociales » -comme dirait Cornelius Castoriadis pour marquer le fondement non fonctionnel (l'Institution imaginaire) des Sociétés. Dans cette attaque radicale, Dantec n'y va pas par quatre chemins. Non fermé au principe démocratique (au moins comme visée mais non comme présupposé) il s'avoue, à titre personnel, partisan de l'aristocratie : « C'est pourquoi je continue à penser que les sociétés aristocratiques sont les meilleures sociétés. » Périphériques page 90.

Cette opinion politique s'ancre évidemment dans une métaphysique déterminée.

JC Michéa, dans son « Empire du moindre mal », n'a de cesse de dénoncer cette volonté de neutralité affichée par l'Etat et le Droit modernes, leur prétendu rejet de toute métaphysique et axiologie, la simple technicité  proclamée des procédures « gérant » le « vivre ensemble » de la société démocratique (libérale) ; l’éthique et plus généralement toute symbolique étant renvoyée au niveau individuel (sphère privée).

Dantec opère une critique parallèle dégageant les présupposés métaphysiques de la démocratie, en premier lieu la philosophie des Lumières : « Je revendique le droit d'avoir d'autres fondations philosophiques. » idem page 90

C'est donc bien à une critique radicale : métaphysique du progrès contre métaphysique (néo-thomiste ?) que se livre Dantec. « L'idéologie des droits de l'homme me semble fort suspecte » idem Cette dénonciation cinglante est reprise au Journal métaphysique et polémique (TdO), dénonciation d'un droit d'expression « pour tous », fondement que l'on sait de la démocratie : « Entre le droit de s'exprimer et la pertinence de le faire, la distance réside dans le talent, c'est-à-dire dans la plus totale injustice. » Après cela, nul n'est besoin de gloser plus avant sur le politiquement incorrect de Dantec.

Alors il sera logique que toutes les manies et les tics de la « société » conviviale soient gentiment épinglés.

D'autre part, le babacoolisme, l'irénisme, autre principe fondamental de l'insignifiance contemporaine est naturellement contesté : « Une civilisation ne se conçoit que dans un conflit de haute intensité » Périphériques page 89

Ceci posé toutes les citations scandaleuses aux yeux des Chiens de garde titillant leur perpétuelle « envie du pénal » (ironisait P Murray) sont pipi de chat, telle : « la seule minorité à qui on interdit le droit -moral- de se défendre : l’hétérosexuel blanc, riche et cultivé. » TdO

Ou encore ses sorties contre « L'hypocrisie de la communauté afro-américaine » TdO ou « sur la pertinence d'accorder aux « homosexuels » les mêmes droits. ».

La critique de Dantec contre l'homosexualisme (mais le principe de cette critique est le même face au féminisme) est à deux niveaux. Dans un premier temps il montre que cet « isme » construit sur un sens socio-biologique est en contradiction avec la notion d'individu (c'est à dire d'homme libre, non déterminé par des facteurs sociaux ou naturels). C'est seulement dans un deuxième temps qu'il dénonce le « droit » des homosexuels parmi les autres droits « dont de toute façon je remets en question la pertinence », soulignant par là le caractère problématique de Droits « naturellement » octroyés à l'homme et non résultats de combats et d'un long processus : la civilisation.

Signalons avec cet exemple d'une critique de l'homosexualisme que, sous l'aspect souvent polémique des expressions, la critique est toujours nuancée, circonspecte, tenant compte empathiquement des positions de l'adversaire.

Sur l'échiquier politique Dantec déclare se positionner sur la diagonale du Fou : ni au centre occupé par le social-libéralisme, ni aux périphéries occupées par« les nihilismes de l'extrême-gauche et les réactionnaires de l'extrême-droite. »

Une fois effectué ce rapide constat factuel des prises de positions politiques nettement explicitées dans Périphériques ou les Théâtre des Opérations ou formant encore le cadre de son univers romanesque il nous faut maintenant remonter vers le coeur de la métaphysique de Dantec.

2-Primat cartésien de la métaphysique :

« Nous ne sommes pas des écrivains de science-fiction, quoique nous entendions faire des sciences et des technologies les éléments fissiles nécessaires à l'obtention de cette masse critique. » Périphérique page 111

Cette citation montre deux choses, bien sûr l'importance de la techno-science dans l'oeuvre de Dantec et d'autre part que sa démarche est avant tout littéraire.

Si Rimbaud entamait un processus savant et volontaire de dérèglement de tous les sens en préalable à la création littéraire, Dantec procède quant à lui à « un dérèglement immédiat » de la « circuiterie médiatique ». Sans limite. « Loin de faire table rase d'un prétendu encombrant passé, nous voulons en être les héritiers, donc la synthèse, une « synthèse disjonctive » pour reprendre Deleuze, une synthèse qui transmute chaque élément du tout lors d'une opération particulière [...] qui consiste à faire atteindre au texte ainsi produit le point inéluctable de masse critique. »

« Nous n'écrivons pas de romans à introspection psychologique, car nous préférons de loin la neurologie et la psychiatrie clinique comme territoire de production des possibles. Nous ne prétendons à aucun réalisme normatif, mais nous pensons au contraire que l'imagination est une usine à produire du réel, nous n'entrevoyons aucun découplage fondamental entre les différentes sphères de la conscience et de l'activité naturelle de l'homme, entre morale et biologie, art et industrie, science et sexualité, physique des particules et littérature. Nos cerveaux sont des synchrotrons en attente d'une collision spectaculaire, d'où jaillirait la gerbe de particules tant attendue sur l'écran de nos consciences bombardées d'informations. »

Ce programme sur l'art littéraire a des accents certains de Manifeste futuriste à la Marinetti. Ces lignes publiées en 1999 à la NRF constitueraient, quant à sa conception de l'exil son premier niveau d'analyse. Première étape d'analyse où effectivement le « chantier du constructivisme américain », le « zeppelin barbare de la civilisation américaine » s'opposait au « déclin historique » et pas seulement littéraire du « paquebot Europe ». Littérature européenne qui se survivrait uniquement aux marges, d'où l'exil québécois pour qui voudrait encore écrire dans le langage et sur la lancée de l'imaginaire européen.

La démarche est initialement donc formelle, artistique, littéraire, s'alimentant d'un réel dominé par la techno-science. Celle-ci n'est pas rejetée mais bue jusqu'à la lie dans une sorte d'ascèse. On pense à une nouvelle alchimie du verbe rimbaldienne mais aussi à une démarche proto-chrétienne (consistant à s'infliger jusqu'à son terme une démarche moderne comme purification préalable à la création artistique) comme celle de Baudelaire, Huysmans, Verlaine ou à une sorte de fascination pour la modernité appelée à être dépassée comme chez Cendrars.

En tous cas, ni peur ni rejet de la technique mais assimilation de son potentiel puis analyse critique, décryptage, pour en dégager non seulement l'essence (non technique on l'a dit) qui relèverait de la métaphysique classique mais au-delà, de l'ordre, du Cosmos intégré à ce monde. Monde approché selon les catégories de la technique mais qui recèlerait un Dieu caché.

S'il y a bien une fascination pour la technique, une mise en place futuriste de catégories d'appréhension du réel (« Premiers principes de la Thermodynamique fonctionnelle ») nourrie de cybernétique, de cognitivisme, d'épistémologie du chaos à grands renforts de fractales, cela ne constitue pour autant qu'un medium, sinon une étape de la métaphysique dantequienne. Métaphysique cheminant depuis « la machine cyborg et constructiviste » jusqu'à la patristique et la fréquentation des antiques Grecs. On l'a dit, comme Verlaine et Baudelaire s'en sont revenus depuis le voyage vers la modernité, désabusés, vers la tradition apostolique et romaine. C'est ce cheminement que nous brossons rapidement.

Comme signalé plus haut derrière l'adoption de nouveaux paradigmes et la dénonciation du mécanisme et de toute approche linéaire et réductrice on trouve un Dantec adepte de Descartes, faisant reposer, comme lui, l'édifice de sa vision du monde, l'arbre de la Philosophie, sur ses racines métaphysiques. Ainsi, sa vision technico-futuriste repose-t-elle in fine sur une métaphysique classique, celle des Pères de l'Eglise (donc d'Aristote et de Plotin) et sur des fondamentaux religieux (Bible, Table de la loi).

L'essence de la technique n'est alors analysable que mise en perspective dans le cadre de l'imaginaire, des représentations classiques propres à l'Occident. C'est cette constante que constitue, malgré les fluctuations réelles et les conflits internes qu'elles engendrent, ce cadre qu'est l'imaginaire européen (puis occidental) qui autorisera peut être que se résorbent ses guerres civiles ininterrompues depuis le Grand Schisme.

Très nietzschéen aussi, Dantec prône en littérature une « transmutation des valeurs ».

La littérature doit , alors, elle-même être facteur de mutation : « Accepter le monde issu du XX° siècle comme une expérience globale, dans laquelle l'économie générale et les crises nihilistes cataclysmiques subséquentes ont engendré des psychoses idéalistes en tant que systèmes de gouvernement, ou comme cultures de masses. »

Comme Nietzsche le soutient, il ne faut pas empêcher un ordre défunt de s'écrouler mais hâter sa décomposition pour dépasser la phase nihiliste. L'idéologie régnant autour des technologies de l'information participe de ce nihilisme du futur : « Sous couvert d'un rationalisme technicien bon teint ces néo-idéologues sont en train, nous le savons, d'inventer le nihilisme du futur, un idéalisme extrémiste recouvert de moralité humanitaire. »

Dès 1999 Dantec dénonce clairement cette idéologie technicienne et sa prétention à l'objectivité et l'autonomie : « Aucune civilisation digne de ce nom n'a pu être produite sans l'apport fondamental d'une métaphysique. ». S'appuyant sur la classification de K Popper en trois niveaux du Monde : réalité physique, sensible, métaphysique, Dantec dénonce l'autisme de l'idéologie technicienne, sa prétention à l'auto-fondation (critique similaire, nous l'avons dit, à celle de JC Michéa). « Aussi Internet et les autres technologies rhizomiques de l'information ne peuvent en aucun cas être appréhendés comme ce Deus ex machina [...] Car ces technologies sont les productions du Monde 3. » Donc, l'univers d'Internet n'en est pas moins un lieu (biotope) où s'affrontent des théories (des métaphysiques, des systèmes de valeurs donc). «  Toutes les civilisations se constituent sur une métaphysique, et donc sur un projet plastique dont l'homme est le moteur, tout autant que le matériau. »

L'esthétique, domaine du plastique (qu'est l'homme dans une certaine mesure), de la Forme (l'eidos platonicienne) partie intégrante de la métaphysique est donc fondatrice. Ce monde de la technique et de la démocratie, expressions jumelles du nihilisme contemporain se fonde aussi sur une métaphysique : celle des Droits de l'Homme.

Ce primat de la métaphysique une fois démontré nous terminons par l'exposé de la propre métaphysique dantequienne qui supportera sa vision politique.

3-Littérature, exil, vision du monde :

« Désormais, la fracture définitive entre l'occident judéo-chrétien et le panasiatisme arabo-islamique est consommée. Rien, sinon quelques siècles, ou quelques bombes atomiques, ne pourra régler ce contentieux historique fondamental, qui vient à point nommé rappeler aux jeunesses de l'occident que la paix n'est jamais qu'un intervalle plus ou moins long entre deux guerres. »

L'analyse est peu diplomatique.

Le cadre nietzschéen d'un dépassement continu de l'homme est affirmé à plusieurs reprises en appelant éventuellement en renfort la théorie du chaos déterministe et la thermodynamique de la vie et l'invariance de la loi « d'une élévation constante vers un niveau supérieur de complexité paradoxale. »

Ce cadre général une fois défini, il sera alors « temps de livrer nos démocraties avancées à la cruelle expérience du passage de relais, que d'autres sociétés ont vécu avant elles. » Périphériques page 141

Cette métaphysique dantequienne du changement et de l'homme comme son moteur paraît paradoxale. Profondément moderne (on reste dans le cadre d'un humanisme, du primat de la liberté humaine) et profondément traditionnelle puisque la propre démarche de Dantec le conduit au baptême. Autre paradoxe apparent, si notre hypothèse de départ est bonne (à savoir que Dantec vise dans cet « exil » temporel à la réunification et au réarmement métaphysique de l'Occident) : Dantec ne prend pas, entre pragmatisme anglo-saxon et phronesis greco-latine, une position médiane mais adhère pleinement à l'un des deux pôles par le baptême catholique (romain donc).

Mais ces paradoxes peuvent se résorber autour d'un cadre originaire et commun aux différentes sensibilités de l'imaginaire européen (occidental). Notamment la notion de liberté de la personne humaine, notion fondamentale et commune à toutes les fractions de l'imaginaire européen, une « signification imaginaire sociale » radicalement fondatrice de l'identité européenne.

Cette quête de la liberté vécue comme tension entre un idéal et une pesanteur charnelle renvoyant à une autre opposition centrale et fondatrice de l'imaginaire européen : la chair plombant l'âme mais lui assurant par là même le lieu, la dynamique et le champ d'application de cette liberté essentielle.

Alors cet idéalisme (de la démocratie, de la culture de masses) dénoncé par Dantec, cette abstractionite aiguë qui touche les sociétés occidentales, cette évolution dans l'éther pur du concept a engendré une nouvelle forme de nihilisme.

C'est alors à une réappropriation de son essence duale par l'homme occidental que Dantec va oeuvrer, esquissant une métaphysique « nouvelle » par la fréquentation des vieilles humanités d'Héraclite à Saint Jean Chrysostome.

Les analyses tirées d'American Black Box et des TdO ou de Périphériques donnent des idées plus précises quant au contenu exact de ses positions instantanées mais il semble que c'est son oeuvre romanesque qui en dit le plus. Hélas ! Le truchement de la forme littéraire implique des interprétations souvent hasardeuses ; tant pis, risquons nous à quelques hypothèses pour clore notre interprétation générale du sens de l'exil chez Dantec.

Dantec nous propose un nouveau concile visant (contradictoirement ?) à effacer la fracture de Vatican II et, bien en amont, le grand Schisme entre protestants et catholiques détonateur de la longue suite des guerres civiles européennes.

Néanmoins cette volonté oecuménique, Dantec, avec le baptême catholique, s'inscrit dans une des parties qui s'affrontent (s'affrontaient).

On l'a dit : résorber le schisme permettrait de résorber la fracture Nord/sud (de l'Europe) fracture entre une praxis gréco-latine pour qui la raison est avant tout circonspection et une praxis « pragmatiste » basée sur la dimension logico-instrumentale de la Raison telle qu'elle est mise en oeuvre dans le marché, les droits de l'homme et la techno-science, c'est-à-dire une rationalité formelle excluant le sens de ses procédures.

Dantec s'inscrit dans une pensée catholique radicale (les Tables de la loi et les Evangiles) et en même temps dans une métaphysique Nietzschéenne du Surhomme, d'un dépassement de l'humain mais visant la Parousie, la présence incarnée de Dieu à la Fin des Temps.

Tel qu'il apparaît dans Artefact nous pourrions valider notre hypothèse : l’essence de la technique n'est pas technique mais relève du mystère de l'homme renvoyant lui-même à celui de Dieu.

L'essence de la technique serait donc -« en dernière analyse »- divine. Le Cosmos (ordre divin) incorporé dans l'Univers, instrumentalise la technique comme voie providentielle -mais laisse toute sa place à la liberté humaine face aux théories du hasard ou du déterminisme ou celles de la grâce et de la prédestination (rudes combats en perspective au concile de Réunification des Chrétiens... au fait et les Orthodoxes ?)- ce Cosmos « encodant » l'Etre est en oeuvre dans la technique. Cette dernière ne doit pas être rejetée mais menée à son terme dans un être Cyborg multipliant les facultés physiques pour mieux tendre vers la source métaphysique de toute Vérité.

Dans « Artefact », le Frère du Diable s'en prend dans un premier temps à tous les responsables du nihilisme contemporain qui réduit l'homme à l'homo-festivus. Juges, love-paradeurs, pédophiles, conducteur-de-taxi-cinématographique-maghrébin-cogneur, journalistes gaucho-djihadistes, tous y passent, mais aussi les défenseurs des animaux et les écologistes-intégro-survivalistes. Si l'Homo-festivus fruit de l'atomisation libérale est condamné sans pitié comme foule et pour tout dire expression de la démocratie, les solutions anti-technicistes comme les nihilismes totalitaires sont mis au propre aussi sous le concasseur.

La technique est bien un tremplin vers le Surhomme, la technique est bien une voie providentielle pour atteindre son essence (non-technique) par de simples artefacts qui n'ont d'autre sens que d'être des moyens d'accès à la transcendance.

Cette voie n'est pas certaine (liberté ontologique veille) ni linéaire mais elle s'appuie sur une pratique stricte, elle-même étalonnée sur une hiérarchie de valeurs inconditionnées et incarnées depuis la nuit des temps (la Loi).

Face au relativisme et à la décomposition:rappel de la hiérarchie de valeurs, celle-ci implique l'existence d'une aristocratie.

La mise en oeuvre romanesque de la Machine semble bien n'être pas seulement un artifice littéraire mais le medium nécessaire à la quête par l'Humain du surhumain et de la transcendance.

L'exil de Dantec est alors un exil prophétique (il se situe au-delà des foules des grandes Sodome et Gomorrhe qui peuplent l'ancien, comme le Nouveau monde) pour annoncer -Zarathoustra catholique- la mort de l'Homme au travers de son dernier avatar : l’Humanisme, dernière Ruse de Lucifer pour retirer toute trace d'humanité en l'homme.

Cet humanisme (distinct de l'humanisme des Anciens) est né avec la Renaissance c'est-à-dire le Grand Schisme. La réunification de l'Europe-Occident face à l'Islam passera pour Dantec par un Concile et une réappropriation de l'héritage commun de l'Europe. Faire face à l'ennemi en bon ordre implique de mettre un terme aux nihilismes (logique humaniste poussée à ses extrêmes). Le catholicisme de Dantec vise son dépassement dans un Christianisme des origines et pour lui c'est le seul candidat crédible à un redressement occidental.

Nous ne demandons qu'à (le) croire.

Par Jean-Baptiste Santamaria 

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