Enquête sur le Cauchemar de Darwin. Un excellent bouquin qui démontre l'imposture

Publié le par ledaoen ...

Pour revenir sur la polémique concernant le film d'Hubert Sauper, je vous soumets une interview de François Garçon, auteur d’une « Enquête sur le Cauchemar de Darwin ».

Le Cauchemar de Darwin, film documentaire d’Hubert Sauper, a été salué par la critique et le public lors de sa sortie dans les salles françaises en 2005. Ce film, qui dénonce les effets dévastateurs de la mondialisation en Tanzanie et dans les pays africains, est aujourd’hui remis en cause par un historien du cinéma, François Garçon, dans son livre, Enquête sur le Cauchemar de Darwin, publié chez Flammarion. Interview.

Fruit d’une longue enquête faite sur l’exploitation de la perche du Nil autour du lac Victoria à Mwanza, ville portuaire de Tanzanie, le film documentaire d’Hubert Sauper, Le Cauchemar de Darwin, dénonce le troc monstrueux qui se déroule dans cette ville et qui consiste à échanger ce poisson contre des armes génocidaires. Introduit dans les années 1950, ce poisson est présenté comme un dangereux prédateur qui menacerait la biodiversité et générerait une prostitution locale, la progression du sida et le phénomène des enfants abandonnés. Une thèse avec laquelle, François Garçon, historien du cinéma et maître de conférence à la Sorbonne, n’est pas d’accord, et qu’il démonte point par point dans son livre, Enquête sur le Cauchemar de Darwin. Ce dernier est en quelque sorte la suite d’une contre-enquête publiée dans le n° 635 de la revue Les Temps modernes (nov-déc 2005), près d’un an après la sortie du film. L’historien reprochait déjà au réalisateur autrichien d’avoir instruit uniquement à charge, sans aucune preuve, faisant donc du film une fiction, une mystification et non un documentaire. Il a ainsi provoqué une vive polémique qui a duré des mois durant lesquels il a fait face à de nombreuses critiques. Il est accusé notamment d’appuyer sa démonstration sur une recherche documentaire et non sur une investigation sur place, ce qui va le pousser à se rendre pendant douze jours à Mwanza où il va rencontrer les protagonistes du film, interroger certains spécialistes et scientifiques. De là est né ce livre extraordinairement bien documenté et toujours référencé, qui se révèle être encore plus accablant pour Hubert Sauper accusé d’avoir tout inventé « à des fins purement mercantiles ».

Pouvez-vous résumer le film, Le Cauchemar de Darwin, pour ceux qui ne l’auraient pas vu ?
François Garçon :
Sorti en France en mars 2005, Le Cauchemar de Darwin est un film documentaire réalisé sur la base d’une longue enquête faite à Mwanza, ville portuaire de Tanzanie où vivent beaucoup de pêcheurs. Hubert Sauper, le réalisateur, décrit de manière minutieuse un trafic qui s’établit de la manière suivante : des avions en provenance d’Europe se posent à l’aéroport de Mwanza, embarquent un poisson qui s’appelle la perche du Nil pêché dans le lac Victoria et payé avec des armes génocidaires. C’est donc un troc monstrueux où nous, Occidentaux participons en privant la population locale de cette ressource protéinée. En contrepartie, nous leur apportons des armes avec lesquelles, elle s’entretue. Et autour de ce commerce, prolifère la prostitution avec bien évidemment l’épidémie du sida et les enfants abandonnés puisque l’industrie de la pêche a attiré autour du lac des hommes qui ont abandonné leur famille.

Pourquoi avoir choisi ce film pour votre enquête ?
François Garçon :
Je ne l’ai pas choisi. C’est un film qui m’est apparu la première fois que je l’ai vu, extrêmement violent et incroyablement démonstratif. Je suis de manière attentive tout qui se passe en Afrique, notamment dans la presse anglo-saxonne. Mais, tant dans la presse française qu’anglo-saxonne, je n’avais jamais lu quelque chose se rapportant à ce trafic. Vu le nombre important d’envoyés spéciaux en Afrique et l’importance qu’a pris ce continent dans le monde médiatique et le nombre considérable d’ONG qui sont au chevet de certains Etats malades d’Afrique, j’ai été intrigué de n’avoir jamais lu une ligne sur ce troc monstrueux. Je suis donc retourné voir le film. Et là j’ai eu une perception radicalement différente. Je me suis rendu compte qu’en regardant de près toutes les histoires rapportées par Sauper, on pouvait apercevoir une étiquette portant la mention « mensonge ». A partir de là, je l’ai soupçonné d’être un formidable imposteur. J’ai donc décidé de lever le voile en écrivant cet article paru dans la revue Les Temps modernes et par la suite ce livre.

Que reprochez-vous exactement à ce film ?
François Garçon :
Pour moi, ce film est une énorme imposture qui a été fabriquée par quelqu’un qui a beaucoup de talent mais qui reste un imposteur. Prenant par exemple l’histoire de l’introduction de la perche du Nil dans le lac Victoria présentée comme une entreprise diabolique. On voit un type qui dit : « un jour, un homme, un poisson, un saut et le mal était fait ». Alors que cette perche a été introduite dans ce lac après un long débat de près de 25 ans (1930-1954), opposant les scientifiques qui étaient contre toute introduction de nouvelles espèces par peur de bouleverser l’équilibre écologique, et les politiques qui cherchaient à rendre plus fertile un lac très peu poissonneux. Il y a ensuite la question des enfants abandonnés, un phénomène présent partout sur le continent. Ce n’est donc pas la conséquence de l’exportation et de l’industrialisation de la perche. Ceux du film, nous les avons retrouvés, interviewés et filmés. Ils affirment avoir été payés par Hubert Sauper pour jouer des scènes, notamment celles où on les voit se battre. Cette information a été publiée dans la presse tanzanienne par Richard Gamba, le journaliste d’investigation vu à la fin du film, que nous avons également rencontré. Le journal publie même les sommes données aux enfants. Quant à la prostitution, c’est un phénomène mineur à Mwanza lié à la présence des industries minières qui sont à côté, et dont les employés sont consommateurs de prostituées. Enfin, Hubert Sauper sous-entend que Mwanza est la plaque tournante du commerce des armes sans fournir aucune image le prouvant alors même qu’il est resté six mois sur place et que l’accès à l’aéroport est totalement libre, que la couverture optique de l’aéroport peut se faire facilement du fait d’énormes masses de rochers qui surplombent l’aéroport. Hors lorsqu’on emmène des armes, on a besoin à la fois des grosses logistiques au sol mais aussi de la protection, soit militaire, soit, si elle est mafieuse, paramilitaire. Et là, rien, pas d’image. Bref, il a tout inventé de A à Z. On en a la preuve à deux reprises, notamment lorsqu’il utilise les médias locaux pour étayer sa thèse. Il commence d’abord avec une information concernant la Sierra Léone, à 6 000 Km de Mwanza, publiée dans un journal anglais qui s’appelle Focus on Africa et qui remonte à 1997 ; puis avec une autre dont la majorité de la presse tanzanienne a parlé : le 2 octobre 2001, un avion en provenance d’Israël et en direction d’Angola, s’est arrêté à l’aéroport de Mwanza à cause de problèmes techniques. Les autorités en montant à bord, ont trouvé 35 tonnes d’armes. Cet événement a eu un véritable impact médiatique dans le pays, prouvant ainsi que ce genre de fait est exceptionnel. Je pense que ce film est une énorme salissure faite aux Tanzaniens et à la Tanzanie.

Comment expliquez vous le fait que les journalistes ne se soient alors pas aperçus de ce « grand mensonge » ?
François Garçon :
Il y a plusieurs choses. D’une part, il y a les journalistes spécialisés dans la critique cinématographique et il y a les journalistes politiques. Les premiers n’ont aucune connaissance du fond, ils ne connaissent pas l’Afrique, leur seule connaissance qui est également la mienne, c’est celle des clubs de vacance. Ce n’est pas un reproche, simplement, ces gens là devraient s’abstenir étant ignorant, de porter des jugements sur le fond et se limiter aux critiques d’ordre cinéphilique. Hors ils ont été au-delà et ont pris pour argent comptant ce que Sauper leur avait raconté et sont partis dans des dithyrambes consternantes de bêtises. Il y a également les autres journalistes qui sont des spécialistes de l’Afrique. Ces derniers ont été très peu entendus. Ils n’ont participé à aucun jury de cinéma dans les festivals où ce film a été présenté et où il recevait récompense sur récompense. Ce sont souvent des anciens cinéastes ou des critiques cinématographiques qui y participent et qui sont pour la plupart d’entre eux des gens d’une profonde inculture politique. Par ailleurs, pour écrire mon livre, je me suis servi d’une série de thèses qui ont été mises à la disposition des journalistes français par les Tanzaniens eux-mêmes en novembre 2005. Toutes les rédactions parisiennes ont reçu un démenti émanant de National Fishering of Tazania en disant que ce film mentait et argumentant sur le mensonge. Aucun journaliste ne s’est intéressé à ce papier. J’accuse donc les journalistes de se désintéresser à l’information dès l’instant que cela ne vient pas de journalistes blancs. Pourquoi ce document de sept pages très bien documenté émis par des Tanzaniens, dont je me suis d’ailleurs inspiré, n’a pas été repris pas la presse française ? Et pourquoi, moi j’ai eu un tel impact avec l’article paru dans Les Temps modernes ?

Et comment l’expliquez-vous ?
François Garçon :
Il y a d’abord un phénomène flagrant, c’est le racisme. C’est déjà un premier élément, c’est-à-dire qu’un argument scientifique, analysé et développé venant d’un Tanzanien n’est pas pris en compte, parce qu’ils se disent qu’ils ont à faire à une information venant d’un pays où la corruption règne, où la vérification des données est impossible et où il est très compliqué de se rendre parce qu’il faut changer trois fois d’avion et sur place il y a des visas à obtenir. Et donc il y a à la fois racisme et paresse. La paresse est un formidable moteur de médiocrité, et la presse française est un extraordinaire lieu de concentration de médiocrité associée à la paresse. C’est la raison pour laquelle, moi étant blanc franco-suisse, mon papier a eu plus d’impact, il était écrit en français en plus, et dans une revue qui était Les Temps modernes.

Certains ont incité les citoyens à boycotter cette fameuse perche…
François Garçon :
Ce sont principalement les mouvements alter-mondialistes qui ont incité au boycott de la perche car ils ont été, comme tout le monde, secoués par le film. Je ne peux pas faire de reproches à ces gens d’avoir milité dans ce sens. Mais en appelant à la baisse des aides financières européennes pour la Tanzanie, ils ont accumulé selon moi les démarches d’une profonde crétinerie alors qu’on peut les soupçonner vouloir venir en aide à des populations qui sont en grande difficulté. La Tanzanie est un pays pauvre qui essaye de s’en sortir, et de voir ces gens qui sont des nantis appeler à l’aggravation du martyr de cette population, est une « couillerie » aberrante.

Vous avez été énormément attaqué à la suite de l’article dans Les Temps modernes, notamment sur votre passé professionnel et sur le fait que contrairement à Sauper, vous n’avez pas mis les pieds sur place…
François Garçon :
De tous ceux qui ont rendu un hommage sans fin au film, aucun n’a été sur place, tout comme moi qui l’ai éreinté. En quoi mes arguments pesaient moins que les leurs ? Je pense que ce qui doit primer en toute circonstance, c’est l’usage du sens critique, c’est-à-dire vérifier ce qu’a montré et dit Hubert Sauper à l’écran, lors des dizaines, des centaines d’interviews qu’il a données, est cohérent et peut être vérifier à partir de sources, notamment écrites. On m’a également attaqué sur mon passé professionnel. Un certain nombre de journalistes se sont inquiétés de savoir si j’étais un marchand d’armes, un importateur de poissons ou si j’étais associé avec la mafia russe ou si je m’occupais de réseaux de prostitution sur l’Ukraine. Comme j’ai enseigné pendant 20 ans à l’école polytechnique et que j’ai travaillé à la direction de la prospective du groupe Havas, ils m’ont soupçonné d’avoir des liens avec la Françafrique. C’est un « crachat » pour discréditer la parole gênante.

Vous vous êtes finalement rendu en Tanzanie ?
François Garçon :
Le fait qu’on m’ait reproché de n’y avoir jamais mis les pieds, m’a donc donné envie d’aller vérifier si les intuitions que j’avais conceptualisées étaient fondées. Une fois là-bas, je me suis aperçu que le mensonge était encore pire que ce que je pensais. On avait les témoignages des personnes présentes dans le film qui affirmaient qu’il les avait utilisées et les avait fait jouer comme des acteurs. On comprend alors qu’on a affaire à quelqu’un de complètement cynique qui pour des raisons purement mercantiles, pour que son film ait un impact commercial, a inventé, derrière le paravent du message et de l’objectivité documentaire, une fiction qui salit les gens. Il faut tout de même préciser que la Tanzanie est un régime démocratiquement élu où cohabitent les musulmans et les chrétiens, un régime qui après une politique socialiste forcenée, a pris de manière pacifique un tour libéral. De ce fait, il mérite un minimum de respect. Il n’a rien à voir avec le Darfour ou la Sierra Léone.

Après votre contre-enquête sur place, quels sont selon vous, les conséquences de ce film sur les Tanzaniens en général et les personnages du film en particulier ?
François Garçon :
La première conséquence, c’est que vous êtes très mal reçu parce que vous êtes blanc et qu’avant vous il y a un autre blanc qui est passé et qui les a tous trompés. Les gens étaient très méfiants et suspicieux. Ils n’ont pas été très coopératifs, ce que je comprends parfaitement. La seconde conséquence que nous n’avons pas eu le temps de réellement vérifier puisque nous sommes restés sur place que 12 jours, c’est l’impact des boycotts sur l’exportation du poisson. Désormais, la grande distribution achète le poisson au Vietnam et aux Caraïbes.

A la fin du livre, vous renvoyez les lecteurs au site Internet, mwanzainterviews.com, pour quelles raisons ?
François Garçon :
Le site a été crée par un ami. Les choses étaient tellement terribles, que j’ai voulu que les gens puissent par eux-mêmes vérifier l’authenticité de ce que nous rapportons. Je demande aux lecteurs d’avoir le même esprit critique que j’ai eu à l’égard du film. Vous pouvez ainsi voir sur le site les interviews filmées sur des plans fixes, il n’y a pas de coupes ni de montages. C’est la fourniture des preuves au sens juridique du terme.

- François Garçon, Enquête sur le Cauchemar de Darwin, Flammarion, 2006, 262 p.
- 
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A voir également sur le même blog : "Une supercherie grosse comme la Tanzanie"

http://ledaoen.over-blog.com/article-2039673.html


A consulter :


- 
Mwanza Interview


ACHETER "ENQUETE SUR LE CAUCHEMAR DE DARWIN" SUR AMZAZON

Interview réalisée pour
www.afrik.com

Publié dans Actualité

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